Cela faisait des mois qu’il lui faisait la cour, en parfait gentilhomme. En « nice guy », comme diraient les jeunes. Il l’avait plusieurs fois emmenée manger dans ce petit resto au bord du fleuve. Il s’était bien comporté. Comment aurait-il pu faire autrement sous le regard du futur beauf ? Car il était persuadé que celui-ci ne perdait pas une miette de la conversation. Il lui avait dit qu’elle été belle, en vers et en prose. Il lui avait même composé une petite sérénade pour flûte de pan. Il lui avait offert des fleurs, les premiers crocus du printemps puis des narcisses. Ce n’avait pas été une bonne idée, les narcisses. Elle avait pleuré. « Je le connaissait bien, avant. C’était un bon ami ». Il n’avait pas osé lui prendre la main pour la consoler. Il passait des heures à l’écouter parler de ses amies et des rivalités de cour d’école entre elles, tentait de retenir qui d’Ida ou de Callirrhoé avait le meilleur sens de la mode, qui de Tritée ou d’Eunoé nageait avec le plus de grâce. Toute la diplomatie compliquée des relations amicales d’une jeune nymphe dont le plus gros problème dans la vie est de trouver un cadeau d’anniversaire pour sa meilleure amie. Il pensait qu’elle commençait à vraiment l’apprécier. Quelle drôle de paire quand ils marchaient côte à côte le long de son père le fleuve, elle la gracieuse Naïade à l’allure ondoyante et à la beauté saisissante, et lui le Satyre, sa petite taille et ses pieds de bouc !
Et c’est là que l’autre beau gosse a débarqué. Blond, les cheveux ondulés. Athlétique, et juste assez vêtu pour ne pas offenser la pudeur des nymphes. Le nez grec, le torse marmoréen, beau comme un dieu. Évidemment. Mais tout de même, il y avait des dieux laids. Héphaïstos par exemple. Pourquoi n’avait-elle pas tapé dans l’œil d’Héphaïstos ? Pourquoi avait-il fallu que ce soit ce coureur d’Apollon ? Il a essayé de l’embrasser dès le premier jour. Toujours, elle s’est refusée et lui a échappé comme de l’eau entre ses doigts, mais cela ne faisait que l’exciter davantage. Et bien sûr, ça a mal fini.
Elle sortait de son bain. Il l’a attrapée par derrière avant qu’elle puisse se rhabiller. Elle avait crié. Il ne l’a pas écouté. Et elle a fait ce que toute nymphe aurait fait : des feuilles ont poussé de ses doigts, ses pieds se sont enracinés dans la terre, sa peau s’est épaissie en une écorce protectrice. Daphné s’était changée en laurier pour échapper à son violeur.
Il a été tellement heureux de voir qu’elle le repoussait lui aussi, tout dieu qu’il était. Il a éclaté de rire, un rire strident de satyre. Funeste erreur. Apollon se retourne : « Foutu satyre, tu m’espionnes ? Devient donc un arbre toi aussi ! ». Et paf. Tous ces efforts pour ça, toute sa gentillesse, toute sa courtoisie de gentleman. Le voici figé en un arbre dans une attitude grimaçante, à deux pas du beau laurier qui avait été Daphné. Pas plus près de la conquérir que l’autre salopard, et pour l’éternité
crédits photo : @Coradude
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