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Bleu ciel

Consigne : le texte doit commencer par la phrase suivante

 « Ce peut être aussi cela l’existence ! Des miracles parfois, de l’or et des rires et de nouveau l’espoir quand on croit que tout autour de soi n’est que saccage et silence » (Philippe Claudel, La Petite Fille de Monsieur Linh)

 

Et pourtant, il n’y croyait pas. Il s’était porté volontaire par sens du service, parce qu’il savait que la plupart des survivants ne se sentirait pas la force de revenir. Lui, cette force, il l’avait. Il avait déjà fui sa ville, il y a longtemps de cela, laissant sous les gravats les corps de sa femme et de sa fille. Alors un désastre de plus, un désastre par lequel il n’était en outre que peu touché, n’étant que de passage dans cette bourgade aujourd’hui en ruines, qu’est-ce-que ça pouvait lui faire.

En ruines, avait-il pensé. En cendre plutôt. Il ne restait à la verticale que quelques fragments de murs, les rares constructions en pierre, noires de suie. Il s’appuya sur l’un de ces empilements de pierres, pour reprendre le souffle que cette vue lui avait, malgré sa force, malgré tout, coupé. Encore faux. Les pierres n’étaient pas couvertes de suie. La chaleur des flammes avait changé le mur en obsidienne, lisse et brillante là où sa main avait chassé la cendre, et noire, si noire. Pas de couleur dans ce paysage. Du gris plus ou moins sombre. Le noir mat des poutres et des corps calcinés. Et parfois, donc, un éclat de roche noire elle aussi, sous la lumière pâle d’un soleil embrumé. Même le feu souterrain, le feu de tourbe qui avait maintenu plusieurs jours une chaleur insoutenable et avait retardé l’arrivée des secours, était maintenant mort.

Et soudain, au moment le moins attendu, dans ce tableau de cendre et de suie, un rire. Un rire d’enfant. Le rire de sa fille ? Bien sûr que non. Mais tout de même, un rire d’enfant, ici, maintenant, ça tenait du miracle.

C’était un bambin de quatre ans peut-être. Qui riait. Et qui dit : « Tout petit monsieur, tout petit. Dragon gros, très gros ».

Il s’accroupit pour être à la hauteur de l’enfant :

-        Que fais-tu là, toi ? 

-        Dragon a eu très peur. Damien plus fort que dragon.

Le gosse tenait à la main un objet bleu azur. Comment avait-il pu ne pas voir cette tâche de couleur ?

-        C’est toi, Damien ? Et ce que tu tiens, c’est quoi ?

-        Damien est le policier. Il court après Chloé, la voleuse, et il lui tire dessus. Avec ça. Pan ! »

Et Damien montra fièrement son pistolet à eau bleu ciel.

-        Tu as fait peur au dragon, avec ça ?

 

Tant d’incrédulité dans la voix.


     -         Damien a tiré sur le dragon. En plein dans sa gueule — il éclata de rire, une fois de plus, fier d’avoir osé dire un gros mot — Le dragon a fait « couic », et il est parti.

Damien chuchotait maintenant, sur le ton de la confidence : « C’est un très bon pistolet. Super-puissant. Même à l’armée ils n’en on pas des comme ça. »

Il sentit les larmes mouiller son visage, laver la cendre et la suie. Avec son jouet dérisoire, un gamin de quatre ans avait fait plus que tous les chars d’assaut, que toutes les roquettes.

Pistolet à eau 1 — Dragon 0
 
 
A la mémoire de l'ambulancière M.N.M Poux
Je t'aimais et je t'aimerai toujours, ambulancière, soldate ou grand-mère

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