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Le Trône

 


 

Mon nom ? Serais-je assez fou pour donner mon nom à une étrangère ? Crois-tu que c’est en commettant ce genre d’imprudences que je suis parvenu sur ce trône ? Écoute donc l’histoire de ma vie, humaine, et puisses-tu t’en inspirer.

L’histoire de mon père, je l’ignore totalement. Celle de ma mère, que puis-je en dire ? Une chatte des campagnes, qui mit bas dans une cave. J’avais sans doute des frères et sœurs, mais quand ma génitrice ne voulut plus de nous moi seul fut fait prisonnier par la vieille humaine qui logeait au-dessus. Elle me nourrissait peu, des restes de pâtes, un os de poulet, ou tout autre relief de ses repas quand elle y pensait. Je dû apprendre très jeune à gagner ma vie seul. Par chance, les mulots n’étaient pas rares dans le champ adjacent. L’humaine était très vieille. Anubis l’emporta six mois après ma capture. Anubis ? De quoi t’étonnes-tu, humaine ? Nous les chats côtoyons encore les anciens dieux, ceux auprès de qui nous étions vénérés à notre juste place.

On se disputa violemment l’héritage de la vieille. Mais de moi, personne ne voulait. Bien qu’encore jeune j’avais déjà perdu l’aura magique des chatons, celle qui rend gaga tous les humains. On fit une petite annonce et une petite humaine m’emporta avec elle. Je ne la connaissais pas. Elle mit ses mains dans ma fourrure.  En un éclair le coup de griffe partit et elle éclata en sanglots, pleine de larmes et de morve. Le géniteur de l’humaine tenta de me frapper du pied, mais j’étais déjà parti.

Dès lors, j’ai mené une vie de vagabond, comptant sur mes talents de chasseur. Les humains, je savais qu’on pouvait vivre un temps à leur crochet, sans s’attacher, surtout. C’était bien utile en hiver quand le froid se faisait mordant. Je connus trois ou quatre maisons, mais pas de foyer. Chaque printemps je repartais. Je passais le mois d’avril, cette année-ci, dans une petite ville humaine. Beaucoup me regardaient, je griffais ceux qui voulaient me toucher. C’est à cette époque que j’ai compris que j’étais beau. Cela aussi me conférait une sorte de pouvoir sur les humains. Un jour l’un d’entre eux me fit une offrande de croquettes, dans une petite coupelle de porcelaine. Je l’acceptai. Il revint le lendemain, puis le jour d’après. Le quatrième jour il me dit son nom, Haru. Touché par cette marque de confiance je le laissai passer sa main sur mon dos. Une fois. Il ne faut pas trop en demander quand même.

Les offrandes de Haru continuèrent. C’est tout naturellement que je décidai, l’hiver revenu, de le passer chez lui. A cette époque je le considérais presque comme mon écuyer. Il avait le droit de me grattouiller la tête, et je dressais la queue à son approche. La maison d’Haru était parfaite. Il y avait une boîte à litière, une gamelle pour l’eau (que je n’utilisait naturellement pas, l’eau se boit à la source dans l’évier), et une gamelle pour la pâtée. Un jour, Haru s’approcha de moi avec son portable et commença à me montrer des images d’un chat roux, photographié sous tous les angles. Cet animal n'avait clairement ni pudeur ni prudence. « C’était Ron » dit Haru. Et il se mit à pleurer. J’approchai mon museau du sien et j’absorbai les larmes dans mon pelage épais.

Haru se leva soudain, sorti de l’appartement, puis revint en portant un gros paquet. « C’était à Ron. Je le gardais à la cave ». Il défit le paquet, et je me jetai sur le papier journal, dont le crissement était irrésistible. Quand j’eu réglé son compte à l’emballage, je regardai le contenu. Un trône. Un véritable trône avec un revêtement polaire et un coussin moelleux. C’était alors que je compris qu’Haru était mien pour toujours, et que sous sa protection je pouvais enfin dormir les deux yeux fermés, sur le trône que j’avais gagné.  

crédits photo : @Harutensai7

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