Accéder au contenu principal

Les Romans



Aurore avait donné l’alerte : « Il n’a pas fermé la porte en partant ! » Ce fut un tourbillon de jupons dans l’escalier vers l’atelier. Ses sœurs Célestine et Rose, ses cousines Amélie et Renée, et Aurélie, la bonne amie de cette dernière, la suivirent derrière la porte aux lourds voilages.

Le tableau en cours était décevant. Une vue d’Étretat au soleil couchant, rien qu’on ne leur eût interdit de voir. Mais l’atelier contenait un autre trésor : sa bibliothèque. D’après leur oncle, des traités sur la perspective et les couleurs, la théorie de l’art. Mais Aurore soupçonnait qu’il y dissimulait aussi des ouvrages plus intéressants. Rose fut la première à faire une découverte : Les Fleurs du Mal. Elle s’assit sur la banquette et commença la lecture : « La très chère était nue… » mais fut interrompue par sa jeune cousine qui riait déjà. Elle prit une mine sérieuse : « Cette édition n’est pas censurée. Je me demande pourquoi oncle Gustave en conserve un exemplaire. » Mais Amélie mit fin à sa réflexion d’une exclamation : « Regardez, des romans !  La Nouvelle Héloïse, Paul et Virginie, Le Lys dans la vallée… » Les titres étaient des promesses d’histoires d’amour et de sentiments romantiques. Le simple fait que la lecture de romans leur fût interdite les faisait bouillir de curiosité. Elles les attrapaient les uns après les autres, cherchaient les déclarations d’amour enflammées, riaient beaucoup, avant de poser négligemment par terre l’ouvrage effeuillé.

Renée et son amie Aurélie, plus âgées, s’étaient assez vite lassées de ce jeu et profitaient d’un moment d’intimité à côté de la fenêtre, quand soudain Célestine, assise par terre dans une attitude des plus négligées, poussa un cri. La porte venait de s’entrouvrir et laissait voir le visage austère de Madame Matthieu, la gouvernante. Les jeunes filles se turent, dans l’attente de réprimandes qui ne pouvaient tarder.

Madame Matthieu regarda les livres à terre, puis Célestine, et demanda : « Y a-t-il des romans de monsieur Dumas » ? Aurore, la première à retrouver ses esprits, parcourut rapidement la bibliothèque et répondit : « Il y a Le Comte de Monte-Cristo »

Madame Matthieu finit d’entrer dans l’atelier et ferma sans un bruit la porte derrière elle. « J’en ai entendu le plus grand bien. C’est, paraît-il, riche en passions et en aventures. Mademoiselle Aurore, poussez-vous un peu je vous prie, que je puisse m’asseoir et lire avec vous. »

crédit image : Alexander Mark Rossi, Forbidden Books

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Présentation

  Ce blog est né d'un atelier d'écriture que je suis depuis quelques mois. On nous donne une phrase ou une image (sans contexte), et nous avons quarante minutes pour écrire ce que nous voulons avant de lire au groupe notre production. J'y ai pris goût et j'ai commencé à demander des images à mes amis pour écrire plus d'histoires. Vous trouverez sur ce blog essentiellement des textes écrits en quarante minutes, mais je n'exclus pas de publier des choses plus longues ou plus approfondies. N'hésitez pas à proposer des images !

Meilleurs vœux !

 Je souhaite           à tous les poissons rouges de quitter leur bocal           à toutes les fourmis ouvrières de s’émanciper           à toutes les vaches d’être sacrées           à toutes les chauves-souris d’être enfin des oiseaux           à tous les éléphants de pouvoir oublier           à toutes les sardines d’être un jour celle qui bouchera le port de Marseille           à tous les cochons d’Inde de trouver leur girafe

L'Heure du feuilleton

  Quel retournement de situation ! Monique était hilare. Qui aurait pu imaginer que le mari observait toute la scène depuis le placard ? Ce feuilleton l’enchantait. A 18h, tous les soirs, même quand elle avait des invitées, toute activité cessait et l’on s’installait sur le sofa en similicuir noir, devant la télévision. Hélène, de son côté, esquissait un sourire poli. Elle ne s’intéressait pas vraiment à ces vaudevilles, leur préférant les films d’épouvante, les histoires de possession et d’exorcisme. Tandis que ses yeux regardaient encore, plus par réflexe que par intérêt, le poste de télévision, elle prêtait l’oreille à Sylvie, qui, elle, ne faisait même pas mine de s’intéresser à l’action. Et ce que Sylvie racontait paraissait bien plus fascinant que ces histoires d’adultère sans surprises.  « — Vois-tu, c’est la voisine qui me l’a dit. Elle le tenait du beau-frère de son cousin. C’était une petite bourgade tout ce qu’il y a de plus normal, un café, une boulangerie, plus ...