«Les migrations animales, humaines, et nos migrations intérieures comme une ouverture au monde et au partage »
Nous sommes un 21 février. Madhavan l’ignore mais c’est la Journée internationale de la langue maternelle. Il y a soixante-et-onze ans dans un petit pays d’Asie, l’armée tirait sur des étudiants qui manifestaient pour le droit de parler leur langue.
Aujourd’hui Madhavan est énervé. Il a crié, jeté par terre ce qui se trouvait sur la table. S’il avait eu conscience de la date il aurait peut-être gardé pour lui sa colère. Car ce qui l’a mis dans tous ses états, c’est d’entendre une fois de plus sa femme parler à leur enfant en tamoul. Comment espérer que Marc s’exprime en français si elle s’obstine à s’adresser à lui dans sa langue maternelle ? « Mais je ne connais pas de comptines en français », s’est-elle justifiée. « Demande à tes amies, celles qui ont des enfants. » avait-il répondu. « Je n’ai pas d’amie française », avait-elle pensé très fort.
Elle ne comprend pas son mari. Quand son frère aîné avait quitté le Sri Lanka, il s’était installé à La Courneuve, à côté du seul cinéma de France qui passait des films dans leur langue. Les voisins parlaient tamoul. Dans les commerces on marchandait en tamoul. Sa belle-sœur vit encore toute sa vie en tamoul, cinq ans après leur arrivée, et ne s’en porte pas plus mal.
Mais Madhavan s’était établi dans une cité où l’on parlait toutes les langues du monde, sauf la leur. Il avait bien fallu apprendre le français, cette langue si difficile. « Je ne veux pas que Marc parle tamoul, répète-t-il, cela ne lui servira à rien et il aura un accent quand il parlera français. Ne comprends-tu pas ? Regarde comme nous avons galéré. Nous pouvons lui offrir une vie plus facile, en français. »
Il avait acheté les Fables de La Fontaine, qu’elle avait déchiffrées à grand peine, avant de sourire des ressemblances entre ce classique français et les fables de son pays. Les Français étaient si fiers de leur fabuliste, mais il n’avait pas inventé grand-chose. Les histoires voyagent elles aussi. « Mon fils apprendra la vie avec ces fables. Je veux que tu les lui lises. Plus tard, il devra les connaître par cœur, comme tous les autres petits Français. » Mais elle a apporté avec elle les vieilles berceuses du Sri Lanka, et c’est avec celles-ci qu’elle l’endort tous les soirs.
Ils avaient fui leur pays quand l’armée avait lancé l’offensive contre les Tamouls. Depuis des années déjà leur langue n’était plus reconnue dans leur propre pays. Elle avait espéré, par cet exil, sauver un peu de cette identité tamoule que les Cinghalais voulaient faire disparaître. Mais son mari ne veut pas que son fils soit tamoul. Déjà ce prénom, Marc, quelle idée ? Quand ils étaient seuls elle l’appelle Murugan, comme son grand-père.
Madhavan continue de pester en français. Elle se sent plus démunie que jamais, obligée de laisser derrière elle sa langue et sa culture.
Aujourd’hui Madhavan est énervé. Il a crié, jeté par terre ce qui se trouvait sur la table. S’il avait eu conscience de la date il aurait peut-être gardé pour lui sa colère. Car ce qui l’a mis dans tous ses états, c’est d’entendre une fois de plus sa femme parler à leur enfant en tamoul. Comment espérer que Marc s’exprime en français si elle s’obstine à s’adresser à lui dans sa langue maternelle ? « Mais je ne connais pas de comptines en français », s’est-elle justifiée. « Demande à tes amies, celles qui ont des enfants. » avait-il répondu. « Je n’ai pas d’amie française », avait-elle pensé très fort.
Elle ne comprend pas son mari. Quand son frère aîné avait quitté le Sri Lanka, il s’était installé à La Courneuve, à côté du seul cinéma de France qui passait des films dans leur langue. Les voisins parlaient tamoul. Dans les commerces on marchandait en tamoul. Sa belle-sœur vit encore toute sa vie en tamoul, cinq ans après leur arrivée, et ne s’en porte pas plus mal.
Mais Madhavan s’était établi dans une cité où l’on parlait toutes les langues du monde, sauf la leur. Il avait bien fallu apprendre le français, cette langue si difficile. « Je ne veux pas que Marc parle tamoul, répète-t-il, cela ne lui servira à rien et il aura un accent quand il parlera français. Ne comprends-tu pas ? Regarde comme nous avons galéré. Nous pouvons lui offrir une vie plus facile, en français. »
Il avait acheté les Fables de La Fontaine, qu’elle avait déchiffrées à grand peine, avant de sourire des ressemblances entre ce classique français et les fables de son pays. Les Français étaient si fiers de leur fabuliste, mais il n’avait pas inventé grand-chose. Les histoires voyagent elles aussi. « Mon fils apprendra la vie avec ces fables. Je veux que tu les lui lises. Plus tard, il devra les connaître par cœur, comme tous les autres petits Français. » Mais elle a apporté avec elle les vieilles berceuses du Sri Lanka, et c’est avec celles-ci qu’elle l’endort tous les soirs.
Ils avaient fui leur pays quand l’armée avait lancé l’offensive contre les Tamouls. Depuis des années déjà leur langue n’était plus reconnue dans leur propre pays. Elle avait espéré, par cet exil, sauver un peu de cette identité tamoule que les Cinghalais voulaient faire disparaître. Mais son mari ne veut pas que son fils soit tamoul. Déjà ce prénom, Marc, quelle idée ? Quand ils étaient seuls elle l’appelle Murugan, comme son grand-père.
Madhavan continue de pester en français. Elle se sent plus démunie que jamais, obligée de laisser derrière elle sa langue et sa culture.
Commentaires
Enregistrer un commentaire