Quel retournement de situation ! Monique était hilare. Qui aurait pu imaginer que le mari observait toute la scène depuis le placard ? Ce feuilleton l’enchantait. A 18h, tous les soirs, même quand elle avait des invitées, toute activité cessait et l’on s’installait sur le sofa en similicuir noir, devant la télévision. Hélène, de son côté, esquissait un sourire poli. Elle ne s’intéressait pas vraiment à ces vaudevilles, leur préférant les films d’épouvante, les histoires de possession et d’exorcisme. Tandis que ses yeux regardaient encore, plus par réflexe que par intérêt, le poste de télévision, elle prêtait l’oreille à Sylvie, qui, elle, ne faisait même pas mine de s’intéresser à l’action. Et ce que Sylvie racontait paraissait bien plus fascinant que ces histoires d’adultère sans surprises.
« — Vois-tu, c’est la voisine qui me l’a dit. Elle le tenait du beau-frère de son cousin. C’était une petite bourgade tout ce qu’il y a de plus normal, un café, une boulangerie, plus de bureau de poste depuis longtemps mais une boîte aux lettres sur la place de la mairie. Comme, semble-t-il, toutes les petites villes de province, elle était traversée par une nationale rectiligne sur laquelle les conducteurs oubliaient souvent de baisser leur vitesse à 50 km/h. Le beau-frère du cousin de la voisine, lui, avait ralenti. Il venait de repasser son permis et ne voulait pas le perdre une seconde fois. Déjà qu’il n’était pas très sûr, en cas de contrôle, de réussir l’épreuve de l’éthylotest, hors de question de jouer davantage avec le code de la route.
Et c’est sans doute ce qui l’a sauvé quand le bison a traversé la nationale, cinq mètres devant son véhicule. Il a pilé net. Sa ceinture de sécurité s’est tendue, retenant son torse projeté en avant, mais il a évité la collision. Tu imagines, avec un bison ? L’animal a traversé paisiblement la route comme s’il n’avait pas vu la petite Golf à sa gauche. Là, le beau-frère du cousin de la voisine a hésité. D’un côté, il n’avait pas les idées très claires après l’apéro un peu chargé qu’il venait de boire, et n’était pas très sûr de son bison. De l’autre côté, si cet animal avait réellement traversé la route devant lui, il fallait sans doute prévenir quelqu’un. Il s’est garé entre deux platanes et s’est dirigé vers le café, où il espérait trouver deux ou trois habitués buvant leur bière au comptoir. Mais à part les kangourous, la salle était déserte.
— A part les kangourous ? L’interrompit Hélène
— Eh oui, à part les kangourous. Ils sirotaient des cocas zéro que leur avait selon toute vraisemblance servi le koala derrière le comptoir. Il a entendu des craquements venant de l’extérieur et s’est retourné : sur l’unique table en terrasse, deux opossums grignotaient des cacahouètes. Derrière eux, une ourse et son petit revenaient sans doute de la boulangerie puisque l’ourson tenait une baguette tradition dans sa patte gauche. Dans la tête du beau-frère du cousin de la voisine, une voix criait très fort de déguerpir à toute vitesse. Mais il ne bougeait pas, scotché sur place par la sidération. C’est alors que la cloche de l’église…
— Fini ! Il était excellent, cet épisode, s’écria Monique. 24 ans qu’ils le diffusent, et ce feuilleton est toujours aussi prenant, c’est incroyable !
— Et donc, les kangourous… tenta Hélène
— Les quoi ? Venez, j’ai une bouteille de blanc au frais, vous verrez, très fruité. »
Sylvie regarda Hélène, qui la regarda en retour et répondit prudemment : « Pas d’alcool pour nous, s’il te plaît. »
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