Consigne : (que je n’ai pas respectée) Prendre la place d’un des personnages
IGNACE
Drame burlesque en une scène
Les personnages se parlent à eux-mêmes. Tout dialogue entre eux sera indiqué comme tel
ELLE
Je ne suis pas vraiment à l’aise de sentir ce papy collé à mon dos. Il avait l’air correct, mais avec les hommes, on ne sait jamais. Et s’il avait pris mon invitation à monter sur ma moto comme une invitation à autre chose ?
LUI
Cette jeune femme est bien aimable. Et serviable. C’est rare chez les jeunes gens d’aujourd’hui. Je n’ai même pas eu besoin de lui faire signe, quand elle m’a vu sur le bord de la route avec ma valise elle m’a spontanément offert une place à l’arrière de son véhicule. Si j’avais le moindre intérêt pour les femmes… mais non, ce n’est pas moi. Même hétérosexuel je resterais une personne correcte.
ELLE
Cette énorme valise déséquilibre ma bécane, je dois ajuster ma conduite. Mon esprit volette dans tous les sens : des liasses de billets ? une arme ? une main humaine ? beurk. Je devrais mieux contrôler mon imagination. En tout cas son contenu lui tient à cœur, même debout au bord de la route il la tenait dans ses bras, contre sa poitrine.
LUI
Si elle savait ce que je — et par conséquent, elle — transporte, elle tomberait de son motocycle. Mais comment m’en séparer ? Nous l’avions adopté un mois seulement après le décès de Matthias, et il n’est pas nécessaire d’avoir fait des études poussées de psychologie pour voir que nous avions reporté sur lui tout notre amour paternel. [À ELLE] Pourriez-vous avoir une conduite un tout petit peu plus fluide, je vous prie ? Les secousses ne sont pas bonnes pour lui.
ELLE
Pour « lui » ? Allons bon. Dans quoi je me suis encore embarquée, moi. Il y a quoi là-dedans ? Un être vivant ? Mais je n’ai pas vu d’ouverture par laquelle il pourrait respirer. Peut-être une statuette. Un truc inca, ou tibétain. Précieux, mais fragile. Mais décidément il y tient. Si ça se trouve il lui a même donné un nom. Hubert ? Guenièvre ? Je pouffe, et la vibration de l’éclat de rire parcourt ma colonne vertébrale.
LUI
Elle rit. Il n’y a pourtant rien de drôle dans cette situation. Enfin… je suppose, que, d’un certain point de vue, cela pourrait être comique. Un vieil homme qui transporte un iguane dans une valise à l’arrière d’une d’un vélomoteur. Que dire ? Notre couple avait survécu, de justesse, à la mort de Matthias, un enfant encore. Quinze ans, ce n’est pas un âge pour mourir d’un cancer. Ignace, arrivé tout jeune dans notre duplex, avait maintenu une forme de cohésion entre nous. Mais un iguane domestique ne vit pas très longtemps. Il y a d’abord eu la cataracte. Ce n’était pas très grave, nous avons payé l’opération, bien naturellement. Puis l’arthrose, et les séances de kinésithérapeute spécialisé. Et finalement, son cœur. Ha ! [À ELLE] Je ne me sens pas tout à fait bien, peut-on s’arrêter un instant ?
ELLE
Mais bien sûr qu’on peut, Papy, et je vais même en profiter pour mener un petit interrogatoire sur ton colis suspect. Allons bon, v'là-t-i' pas qu’il pleure. Je garde mes questions pour moi et lui tends un mouchoir. Mais il enserre la valise de ses deux bras, sans me voir, en sanglots.
LUI
[À ELLE, PEUT-ÊTRE]
A la mort de notre bel iguane, nous avons cru un temps que notre couple, une fois de plus, survivrait. Il avait loué une concession dans un cimetière animalier en bordure de Neuilly. Une belle cérémonie était prévue. Nous devions le laisser partir vers sa dernière demeure au son de la Symphonie du Nouveau-Monde. Mais… mais… je ne pouvais pas. On m’avait arraché mon fils ; je garderais Ignace. A l’insu de tous, j’avais embauché un thanatopracteur pour embaumer notre iguane adoré. Mon bébé. Quand il l’a vu sur la table, il est devenu blême. Très calmement il a dit « Si tu ne peux pas passer à autre chose, c’est fini. Débarrasse-t’en ou fais tes valises » [SES SANGLOTS ONT FINI PAR SE CALMER — À ELLE] Ma valise vous intrigue, Mademoiselle, cela se voit. Voulez-vous découvrir ce qu’elle contient ?
ELLE
Non non non non. Hors de question que je transporte ce taré et son lézard empaillé ! « Mon bébé » ! Eh bien qu’il le garde, son bébé, mais sur le bord de la route. Je ne suis ni gardienne de zoo, ni croque-mort. Bye bye, l’iguane.
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